À propos de transition énergétique et d'énergie nucléaire

Mon expérience de l'action humaine liée à mon grand âge m'a appris que le conflit est une des caractéristiques permanentes de l'espèce humaine à tous les niveaux de la société; mais je pense que 95% des conflits sont dûs à des erreurs et 90% de ceux-ci peuvent être résolus par le dialogue, l'échange de connaissances et la compréhension mutuelle. Cela se passe au niveau des individus, des ménages, des familles, des entreprises et de tous les corps sociaux organisés.

Il en va ainsi je crois du concept de transition énergétique et de la réduction de la part de l'énergie nucléaire dans le mix énergétique. La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, la construction de la centrale EPR à Flamenville, le renouvèlement du parc des 19 centrales et 58 réacteurs nucléaires français et la prise en compte de l'expérience de la catastrophe de la centrale Fukushima au Japon, relèvent de ce que je veux dire.

Je comencerai par observer que toute installation industrielle a pour but de produire un bien utile à la société, correspondant à l'état des connaissances scientifiques et techniques d'une époque et à des besoins et satisfactions que cela suscite. Ces connaissances sont en perpétuelle évolution dans le sens de leur croissance par l'accumulation ainsi que d'une adaptation aux besoins et aux effets plus ou moins déletères sur les individus, la société et l'environnement.

La taille d'une installation industrielle dépend des procédés techniques employés, qui dépendent de l'application de connaissances scientifiques et des quantités à produire par jour, mois, année et pendant combien d'années. Il en résulte des équipements à acheter, des bâtiments à construire, des terrains à acquérir, des espaces à occuper et des personnels qualifiés à embaucher et à former pour faire fonctionner tout cet ensemble et le maintenir en bon état. On qualifie de "Complexe" une installation industrielle qui comprend plusieurs, voire un grand nombre d'unités de fabrication, qui participent chacune avec un procédé technique différent (process), à la production d'un ou de plusieurs produits finals.

Il existe ainsi des raffineries de pétrole, des complexes sidérurgiques, des complexes miniers et métallurgiques, des complexes de carrières et de cimenteries, des centrales électriques... Je prendrai un exemple bien connu de moi pour continuer mon propos: un complexe de production de cuivre et produits dérivés; et j'appliquerai cette connaissance aux centrales de production d'électricité.

Complexe de cuivre: mine, enrichissement du minerai, fonderie et raffinage de cuivre, tréfilerie et fabrication de tubes.

Le complexe ou Combinat en russe, est celui de Balkashmed (med qui se prononce mied, est le nom du cuivre en russe). C'était le plus grand complexe de production de cuivre de l'ex-URSS au Kazakhstan. Situé sur la rive nord-ouest du lac Balkash au Kazakhstan [lien], ce complexe s'était construit à partir de 1937 sur la découverte et la mise en exploitation d'un énorme gisement de minerai de cuivre, le porphry copper de Kounrad. Un énorme complexe métallurgique s'est construit durant la période soviétique destiné à fournir le complexe militaro industriel en cuivre et produits dérivés, cables pour les industries électriques et tubes [lien].

Un tel complexe occupe un espace très important [lien]; toutes les installations industrielles ont modifié le paysage naturel au bord du lac Balkash à jamais. Ce site dépend de la production du minerai de cuivre à très faible teneur proche; la ressource s'épuisera, condamnant inéluctablement le complexe à l'arrêt (*). L'espace occupé ne sera jamais rendu à la nature; il restera à jamais une cicatrice de l'activité humaine sur la planète.
(*) il existe d'autres gîtes de cuivre plus petits autour de Balkash [lien], plus loin et qui nécessitent des transports coûteux pour des minerais de si faible teneur; mais ces gîtes, et d'autres s'ils sont mis en exploitation, s'épuiseront aussi à terme, retardant seulement la fin du complexe.

Photos du complexe:

Production d'électricité

Une installation de production d'électricité transforme une ressource naturelle contenant de l'énergie en électricité, un bien particulièrement utile, voire indispensable au bin-être de la société d'aujourd'hui. Une centrale hydraulique utilise l'énergie mécanique d'une masse d'eau en mouvement; au fil de l'eau de fleuves ou de torrents ou de lacs artificiels créés pour stocker l'eau et l'utiliser par une conduite de chute. Une centrale à combustible fossile - charbon, pétrole ou gaz, utilise l'énergie thermique de la combustion de matières organiques déposées pendant des millions d'années du temps géologique et extraite en mines, en puits de pétrole ou de gaz; l'huile et le gaz de schiste qui résultent de récentes et nouvelles technologies, en font partie. Une centrale nucléaire utilise l'énergie thermique produite en obtenant la fission d'atomes lourds instables.

Toutes ces installations dépendent de leur ressource naturelle et occupent un espace plus ou moins important, qu'elles dénaturent par l'aménagement du terrain et leur constructions. Une centrale hydraulique au fil de l'eau occupe l'espace minimal [lien]. L'aménagement d'un grand fleuve comme le Rhone ou le Rhin peut comporter plusieurs centrales en cascade [aménagement du Rhin].

Une centrale hydraulique alimentée par un barrage occupe un espace minime aussi, mais c'est le barrage et la superficie du plan d'eau qui constitue la dénaturation de l'espace naturel [liens].

Une centrale à charbon occupe un espace relativement faible [liens] mais ce sont les aires de stockage du charbon qui sont les plus consommateurs de terrain et la mine, surtout si elle est à ciel ouvert et que la teneur en énergie du combustible extrait est faible comme dans le cas du lignite [lien]. Dans le cas où la source d'énergie n'est pas proche de la centrale, à cause du coût de transport, il faut que la teneur en énergie du combustible soit élevée; c'est le cas des charbons à haute teneur calorifique comme les centrales françaises du Havre et de Cordemais qui fonctionnent avec des charbons importés d'Afrique du Sud, d'Australie et de Colombie; Les centrales à pétrole (fuel) et au gaz naturel occupent des espaces plus faibles. [EDF: voir la localisation des centrales thermiques à flamme en France].
Selon les estimations de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), le rendement moyen mondial du charbon était d’environ 2083 kWh/tonne en 2009 (soit une efficacité moyenne de 30%). En Europe, ce chiffre était d’environ 2630 kWh/tonne de charbon (une efficacité de 38%) due à un charbon de meilleure pouvoir calorifique. Le rendement moyen des centrales supercritiques au charbon dépasse 45%. Là ce sont les performances techniques qui sont la cause.

Une centrale nucléaire occupe un espace très faible. Mais là aussi, c'est la mine qui occupe le plus d'espace; comme la teneur énergétique est très élevée (*), une centrale nucléaire peut supporter des coûts de transport élevés aussi. La mine produit du minerai brut qui par enrichissement sur place permet de produire le combustible nucléaire, lequel peut être transporté par avion et transport léger complémentaire jusqu'au point d'utilisation.
(*) Roger Balian , membre de l'Académie des Sciences, écrit p30 dans le livre "L'énergie de demain" (édition EDP sciences, Grenoble Sciences, livre rédigé par de multiples auteurs sous la direction du groupe énergie de la Société Française de Physique) qu'une centrale nucléaire de puissance 1000MW électrique consomme 27 tonnes d'uranium (enrichi à 3,2%) par an , qu'une centrale thermique de même puissance consomme 170 tonnes de fuel (ou 260 tonnes de charbon) par heure, et qu'une centrale hydraulique de même puissance nécessiterait la chute de 100m de haut de 1200tonnes d'eau par seconde! ceci montre que l'énergie nucléaire est beaucoup plus concentrée que l'énergie chimique: 1g d'uranium enrichi libère 69000 fois plus d'énergie que 1g de de pétrole. [lien]

À tout ceci s'ajoute depuis quelques décennies seulement, le souci du changement climatique qui serait produit par les rejets de CO2 de la combustion des combustibles fossiles, charbon pétrole et gaz. Or la production d'électricité nucléaire n'en produit pas, hormis la mine et l'enrichissement de l'uranium; ce par l'emploi des gros équipements miniers consommant du pétrole, l'usine d'enrichissement et le transport du concentré.

Le changement climatique incite à utiliser des ressources alternatives pour la production d'électricité, le vent, le photovoltaïque, la géothermie, les marées, les courants marins, la bio-masse. Mais la plupart de ces sources sont intermittentes; l'énergie électrique ne peut pas se stocker à grande échelle aujourd'hui; donc à moins de trouver un jour le moyen de stocker l'énergie électrique, les sources alternatives ne peuvent constituer qu'un appoint ou une base correspondant à la consommation minimale constante, car elle ne peuvent pas adapter leur production aux fortes variations de la demande de consommation liées aux très fortes variations d'activités journalières et saisonnières des consommateurs.

Si la transition énergétique consiste à consommer moins d'énergie, dont l'électricité, pour vivre et produire les biens et services que nous consommons, oui; la production/consommation d'électricité en France tous usages confondus est de l'ordre de 515 tera watts heure soit pour 63 millions d'habitants 8175kWh/habitant et par an; ou pour un PIB de 2000G€, 257kWh/unité de PIB. Cette transition énergétique est analogue à la transition démographique où les femmes auront 2 enfants au lieu de 7, par le changement des conditions de vie et les préférences des couples hommes-femmes. Si l'accroissement de la population continue, il faudra bien produire plus d'électricité ou réduire la consommation par habitant par de meilleures technologies et des comportement plus sobres. La transition énergétique affectera alors le mix énergétique dans le bons sens [lien].

Si la transition énergétique consiste à vouloir sortir du nucléaire pour des raisons écologiques mal comprises, notamment fermer des réacteurs et des centrales alors que ceux-ci peuvent fonctionner parce qu'ils sont bien entretenus, alors je pense que ce serait une erreur. Le problème partout, en France, comme aux États-Unis comme en Chine et en Inde, c'est de dépendre massivment d'une seule source d'énergie, que ce soit le charbon ou le nucléaire; car alors la hausse de la consommation par habitant et la croissance de la population amènent à une croissance exponentielle de ce moyen de production. C'est par le mix des moyens de production et par les économies d'énergie - ce qui est aussi un moyen de production - qu'il faut agir. Alors, passer de 75% de nucléaire en France à 50% (une diminution relative) est logique dans la mesure où la croissance de la production serait assurée par des énergies alternatives propres ou renouvelables.


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Mis en ligne le 11/04/2014